Le jour où je m’en suis souvenue c’était un jour où je n’aurais pas dû en manger. Le jour où je m’en suis souvenue, j’avais tout juste 40 ans et j’attendais ma deuxième fille.
Tout d’un coup, à la première cuillerée, j’y ai pensé, je me suis souvenue de cette porte d’armoire qui grinçait, des étagères recouvertes de papier fleuri. Je me suis souvenue que nous devions, ma cousine et moi, à compter de ce moment, nous mettre à chuchoter. Je me suis souvenue combien elle était immense cette armoire dans laquelle mon grand-père, qui lui aussi devait impérativement se limiter, cachait ce pot, ce délice interdit. L’armoire en question se trouvait dans la chambre de mes grands-parents. Nous étions persuadés que nos parents ne se doutaient pas un instant qu’il cachait ce pot, ici, dans leur chambre à coucher.
Nous pensions détenir un secret. Nous étions tellement fières car mon grand-père n’était pas de nature à partager ses secrets. Il était tout en retenue et plutôt taciturne…sauf à ce moment précis. Il avait plutôt coutume de témoigner avec fougue et à table en général de quelques anecdotes de la guerre que nos parents s’empressaient de faire terre, de peur de heurter nos oreilles sensibles. Pour nous, les enfants, cousins, cousines, c’était un héros, un héros de la résistance, trois fois évadé. C’était un aventurier. Alors ce secret, à coup sur, personne ne s’en doutait. Nous n’avions droit qu’à une cuillerée de cette pâte, onctueuse et si sucrée.
Ma cousine, toujours plus aguerrie, s’avançait en premier, d’un pas décidé. Je voyais ses yeux se fermer dès lors que la cuillère entrait dans sa bouche. Elle était plus grande que moi de quelques mois. Nous étions si proches et si différentes à la fois. Je l’admirais. Elle avait de magnifiques boucles blondes qui encadraient son visage. Moi et mes baguettes brunes rêvions ces boucles. Dieu, qu’elle était espiègle ! Elle commençait, aussitôt ce nectar avalé, à ricaner. Mon grand-père la rappelait à l’ordre en faisant « les gros yeux ». Puis venait mon tour, je pouffais souvent de rire en voyant ma cousine faire le pitre si fière de nous savoir complices tous les 3 d’une si grosse bêtise. D’autant que mon grand-père prenait l’affaire très au sérieux. Nous avions l’impression que l’heure était grave alors même que lui, habituellement si sérieux, était d’une légèreté incroyable dans ce moment là.
Toute mon enfance chez mes grands-parents maternels a le goût doux et sucré de cette cuillerée de crème de marrons
6 Commentaires
bolloré
12 octobre 2017 at 11 h 17 minOn remonte le temps…Fan.
Mon grand-père m’a toujours dit que si j’ouvrais le portail rose de la maison de vacances (un portail qui donnait dans un terrain vague) je me retrouverais dans le pays d’Alice aux pays des merveilles. Je ne l’ai jamais ouvert et, étrangement, je n’ai jamais voulu lire ce livre. J’crois qu’j’ai peur de moi !! (help)
Madame Rose
12 octobre 2017 at 11 h 37 minJe trouve ca super joli bon et en même temps intriguant ! Merci pour ce partage ! j’adore les petites histoires de vie !
Bracco astrid
25 octobre 2017 at 12 h 34 minTu me ramènes à de merveilleux souvenirs … c’était chez mon arrière grand mère dans sa grande armoire de la salle à manger où elle cachait sa boîte de berlingots et ses pièces en chocolats . J’y allais toujours en cachette car j’étais très gourmande . Merci de m’avoir ramené à ce souvenir de cette boite de berlingots que finalement je n’oublierai jamais . ❤️
Madame Rose
29 octobre 2017 at 22 h 32 minC’est des moments si doux de notre enfance ! merci d’avoir partagé, ça me touche !
Anna Kordelia
7 décembre 2017 at 12 h 29 minMerci pour cette belle histoire ! Je pense que pour un enfant chaque meuble/objet déco a un aspect immense, comme cette grande armoire de vos grand-parents. Le crème de marrons, mmm, délice…
Madame Rose
9 décembre 2017 at 9 h 29 minMerci pour votre message. Oui elle me paraissait démesurée cette armoire ! Il faut parfois creuser pour aller chercher ces souvenirs mais mes filles adorent que je leur raconte encore et encore cette histoire. Belle journée, Jenny